Une start-up genevoise bouleverse la manière de traiter l’autisme

Alors que les troubles de l’autisme sont d’abord considérés comme des troubles comportementaux, STALICLA met au point une nouvelle approche permettant de mieux caractériser les patients et de proposer des médicaments mieux adaptés. La start-up vient de lancer un nouveau tour de financement.

Pierre Cormon

Un changement de paradigme. C’est ce que STALICLA, start-up genevoise, veut introduire dans la manière dont on caractérise et traite l’autisme, ou plutôt les différents types d’autisme. A l’heure actuelle, le diagnostic des troubles du spectre de l’autisme (TSA) est porté par un psychiatre et repose uniquement sur une observation du comportement. Le psychiatre se fonde sur la socialisation, la communication, les comportements répétitifs et les intérêts du patient. «Les thérapies les plus en pointe incluent toutes des composantes issues de l’analyse comportementale et des sciences de l’éducation», raconte Lynn Durham, fondatrice et CEO de STALICLA. «On analyse les difficultés de la personne et on les découpe en différentes parties qui peuvent faire l’objet d’un apprentissage. Par exemple, on apprend à un enfant à se brosser les dents en dix étapes.» Les approches de ce type sont jugées efficaces par Lynn Durham, mais elles coûtent cher et les professionnels capables de les mettre en oeuvre sont en nombre limité.

Une grande partie des patients présente des troubles du comportement; c’est notamment le cas de ceux qui sont le plus gravement atteints. On leur prescrit des médicaments que l’entrepreneure qualifie de «camisoles chimiques» (neuroleptiques, anxiolytiques, etc.): ils ne traitent pas les causes neurobiologiques de l’affection, mais en atténuent les manifestations. «Ils ne sont pas spécifiques aux troubles de l’autisme», remarque Christian Lüscher, professeur en neurosciences à l’Université de Genève et membre du comité scientifique de la start-up.

COMPOSANTE BIOLOGIQUEOn sait pourtant que l’autisme a une très forte composante génétique et biologique. Les vrais jumeaux, notamment, en sont fréquemment atteints ensemble. «Il s’agit d’une affection biologique, mais au lieu de toucher principalement les poumons ou le coeur, elle touche essentiellement le cerveau, mais pas uniquement... et c’est là que réside une possibilité d’identifier des dysfonctionnements biologiques», explique Lynn Durham. C’est ce qui l’a poussée à fonder STALICLA, en 2017.

Fille d’un couple de médecins franco-américain spécialisé dans cette famille d’affection, elle connaît le sujet depuis toujours. «En famille, nous parlions de neurobiologie à table, j’ai toujours baigné là-dedans», raconte-t-elle. Elle a côtoyé des centaines de personnes atteintes d’autisme, dès son plus jeune âge et en compte même dans son entourage. «On a parfois une vision romantique de l’autisme, celle du génie en informatique ayant de la peine à communiquer», raconte-telle. «Ces personnes existent, mais la réalité des troubles du spectre de l’autisme, c’est aussi que 80% des gens qui en sont atteints sont sans emploi, une partie substantielle d’entre eux vivent en institution et sont peu autonomes.»

Lynn Durham s’est donné pour mission d’aider cette communauté de patients et leur famille. Elle s’est associée à plusieurs chercheurs de pointe en neurosciences et pharmacologie ainsi qu’à des spécialistes du traitement des données pour développer de nouvelles approches thérapeutiques complémentaires aux approches comportementales. Une vaste quantité de données médicales est aujourd’hui disponible, mais elle n’est pas toujours structurée de manière à pouvoir être facilement exploitée. STALICLA a donc développé une plateforme de logiciels (Databased Endophenotyping Patient Identification) qui permet de passer en revue d’énormes quantités de données pour y trouver des liens et des schémas récurrents. Elle analyse des données cliniques, des répertoires de données de patients réels, des comptes rendus de recherches, etc. «Il s’agit d’une approche novatrice», estime Christian Lüscher.

RECOUVRER SA DIGNITÉ

Ce travail a permis de définir pour la première fois deux phénotypes de l’autisme, c’est-à-dire deux sous-groupes de patients qui se caractérisent par les mêmes mécanismes moléculaires1. STALICLA a ensuite cherché parmi les données disponibles quels sont les traitements existants – en général des combinaisons de médicaments – qui permettent d’agir sur ces mécanismes. Elle estime qu’administrés au sousgroupe de personnes atteintes de troubles de l’autisme, ils pourraient engendrer une amélioration d’environ 20% à 30%. «Cela peut ne pas paraître énorme, mais c’est ce qui peut faire la différence entre vivre dans une institution et vivre en appartement de manière autonome, pouvoir cuisiner et prendre sa douche seul, bref, recouvrer sa dignité», remarque Lynn Durham.

Une demande d’autorisation d’essais cliniques va être déposée en 2019 auprès de la Food and Drug Administration (FDA), l’autorité fédérale de régulation des produits pharmaceutiques des Etats-Unis. Elle concerne un traitement composé de deux molécules, qui visent à réduire la sévérité des troubles du premier sous-groupe de patients identifié par STALICLA. Il représente environ six cent cinquante mille adultes en Europe et aux Etats-Unis, selon l’estimation de la startup. L’étude doit être menée au Greenwood Genetic Center, en Caroline du Sud, un institut avec lequel STALICLA a conclu un partenariat. «Comme nous ne développons pas de nouvelles molécules, le processus va plus vite», explique Lynn Durham. L’objectif est d’arriver sur le marché vers 2024 ou 2025 et d’étendre le portefeuille de traitements.

Avant cela, il faudra lever des fonds. Un premier tour de financement a permis de réunir quatre millions de francs en février. Un nouveau tour est lancé ce moisci, avec pour objectif de lever quinze à vingt millions de francs. La méthodologie développée par STALICLA pourrait-elle être appliquée à d’autres pathologies? «Oui», répond Lynn Durham. «Mais avant cela, nous devons faire nos preuves avec le traitement de l’autisme.»

1 Plus précisément, par les mêmes cascades moléculaires, ces mécanismes par lesquels l’information contenue dans un gène est transmise aux cellules.